Médecin généraliste installé en Ile-de-France, le docteur Olivier Grondin est le préleveur le plus expérimenté de l’AFLD avec près de 40 ans passés au service de la lutte antidopage, en France et à l’étranger. Au moment de prendre sa retraite, il revient sur son activité d’agent de contrôle du dopage menée en parallèle de sa carrière médicale.

Comment êtes-vous devenu préleveur antidopage ?
C’était en 1984. Je suivais une formation à la médecine du sport à l’hôpital Cochin, à Paris, et j’ai assisté à un module sur la lutte contre le dopage donné par un médecin du ministère des Sports qui était à l’époque l’autorité chargée de l’antidopage en France. Je suis allé le voir à la fin du cours pour lui poser quelques questions et il m’a proposé de rejoindre les rangs des « médecins préleveurs » à l’issue d’une formation pratique. A l’époque, seuls les médecins pouvaient être habilités à réaliser des prélèvements alors qu’aujourd’hui les infirmiers, les masseurs kinésithérapeutes ou encore les officiers de police judiciaire peuvent postuler. J’ai dû faire un choix car en m’engageant pour la lutte antidopage, je devais renoncer à la médecine sportive à cause des risques de conflits d’intérêt.

Comment s’est déroulé votre premier contrôle ?
Une fois agréé par le ministère comme préleveur officiel, je suis parti réaliser mon premier contrôle et j’ai été tellement mal reçu sur place que je me suis dit que cette fonction devait avoir du sens… Dans les années 1980, les contrôles diligentés par le ministère avaient uniquement lieu en compétition. Seule une poignée de fédérations internationales comme l’IAAF (athlétisme) ou la FINA (natation) réalisaient des contrôles à l’entraînement, en France ou à l’étranger. Les contrôles au domicile des sportifs sont quant à eux arrivés bien plus tard, après l’affaire Festina (1998) et la création de l’Agence mondiale antidopage (1999).

« Dans les années 1980, on utilisait encore le matériel assez archaïque et peu adapté de la police »

Quelle était la stratégie de contrôle dans les années 1980 ?
En France, on pratiquait des contrôles depuis longtemps déjà grâce à la loi sur la répression du dopage qui datait de 1965 mais il a fallu faire évoluer les mentalités. Jusqu’à la fin des années 1990, on contrôlait plus pour remplir les objectifs chiffrés du ministère que pour être véritablement efficace sur le terrain. La lutte antidopage avait alors un côté militant. Il y avait bien sûr un cadre légal qui nous permettait d’agir mais il nous fallait aussi nous engager personnellement pour faire avancer les choses.

A quoi ressemblait un contrôle en 1984 ?
Dans les années 1980, on utilisait encore le matériel assez archaïque et peu adapté de la police avec des bouteilles dans un boîtier en bois. On faisait les scellés à la cire et on écrivait à la main les numéros de série, ce qui pouvait potentiellement être source d’erreurs. On en a tiré des leçons et aujourd’hui, les flacons sont scellés mécaniquement et identifiés par un code barre.

Comment ont évolué vos rapports avec les sportifs lors des contrôles ?
Les contrôles ont été de mieux en mieux acceptés au fil des années sur le terrain même si j’ai toujours senti une forme de respect vis-à-vis du professionnalisme des préleveurs. Ce n’était heureusement pas le rodéo à chaque contrôle antidopage ! Mais ce fut aussi à nous, préleveurs, de faire évoluer les mentalités et de susciter l’adhésion en expliquant les choses pour que les sportifs intègrent que notre cause était aussi la leur et qu’elle était juste. En harmonisant et en clarifiant les règles au niveau international, l’AMA a aussi facilité nos rapports avec les sportifs et notamment avec les sportifs étrangers.

« On l’avait retrouvé assis entre deux voitures en train de faire des manipulations sur son cuissard… »

Si vous aviez à citer un contrôle inoubliable ?
Je me rappelle qu’on avait dû courir après le cycliste italien Riccardo Ricco à l’arrivée d’une étape du Tour de France en 2008. Le chaperon (la personne chargée de notifier le contrôle au sportif et de l’accompagner jusqu’au poste de contrôle) l’avait coursé pendant plusieurs minutes et l’avait retrouvé assis entre deux voitures en train de faire des manipulations sur son cuissard… Son comportement suspect avait été signalé et il avait finalement été exclu de la course après un contrôle positif à l’EPO. Quand il n’y avait pas de chaperons disponibles, et c’était souvent le cas lors des contrôles aux entraînements collectifs, c’était d’ailleurs à nous de courir après les sportifs et il pouvait m’arriver d’en perdre de vue pendant un long moment. Mais leur disparition soudaine était déjà un indice pour nous…

Et un contrôle qui s’est au contraire particulièrement bien passé ?
Aux championnats du monde d’athlétisme à Paris en 2003, je me suis retrouvé le soir après les épreuves à trottiner sur la piste du Stade de France avec la star éthiopienne Haile Gebrselassie qui venait de terminer 2e du 10 000 m. Il n’arrivait pas à uriner pour son contrôle et il m’avait proposé de le suivre pour sa séance de décrassage. A l’époque j’étais jeune et je pouvais courir même s’il y était allé gentiment.

Comment voyez-vous l’avenir de la lutte antidopage ?
Une activité humaine basée sur la compétition aura toujours des dérives donc il faut maintenir une lutte antidopage forte pour assurer l’équité entre les sportifs et protéger les athlètes propres. En tant que médecin, la santé des sportifs est une de mes préoccupations majeures et je pense que leur bilan médical est aujourd’hui meilleur qu’il y a 20 ans. Je n’oublie pas que parmi tous les sportifs que j’ai contrôlés cinq sont décédés prématurément.